Les styles de management et de leadership évoluent avec les grandes transformations culturelles, sociales et économiques de nos sociétés. Après l’ère du leadership autoritaire basé sur la rationalité (Taylor, Fayol), puis celle du leadership émotionnel (Goleman, 1995), un nouveau paradigme émerge : celui d’un leadership transpersonnel, intégrant la conscience, l’intuition et le sens.
Qu’est-ce que le leadership transpersonnel ?
Le leadership transpersonnel peut être défini comme une approche du leadership qui transcende l’ego, intègre les dimensions spirituelle et symbolique de l’être humain, et vise une transformation non seulement organisationnelle, mais aussi individuelle et collective.
Ce courant s’inscrit dans la continuité des travaux en psychologie transpersonnelle (Grof, 1975 ; Assagioli, 1971 ; Wilber, 2000), appliqués au champ du leadership et du développement organisationnel (Hamel, 2007 ; Wigglesworth, 2012).
Un leader transpersonnel n’agit pas uniquement en fonction des indicateurs de performance ou des normes sociales : il est guidé par une conscience plus vaste, une éthique profonde et une vision interconnectée des systèmes humains et naturels.
Comme le résume Vaughan (2002), « le leadership transpersonnel implique une transformation intérieure du leader qui transcende les intérêts personnels pour embrasser une vision du bien commun. »
Trois formes d’intelligence intégrées
Le leader transpersonnel mobilise trois types d’intelligence dans ses décisions :
L’intelligence cognitive – Capacité d’analyse, rigueur, prise de décision rationnelle.
L’intelligence émotionnelle (Goleman, 1995) – Empathie, autorégulation, gestion des relations.
L’intelligence spirituelle (Zohar & Marshall, 2000 ; Wigglesworth, 2012) – Capacité à accéder à une vision du sens, de l’unité, de l’intuition profonde.
Contrairement à un leadership centré sur la performance, le leader transpersonnel cherche à aligner l’action, la présence et la finalité, dans une logique évolutive plutôt que compétitive.
Qualités et valeurs observées
Dans le cadre d’un projet de recherche qualitatif fondé sur des entretiens avec des dirigeants engagés dans des démarches sociétales, plusieurs traits récurrents ont été identifiés chez ces leaders transpersonnels. Parmi eux :
Une authenticité profonde, fondée sur une connaissance de soi intégrant les zones d’ombre (Jung, 1959)
Une humilité active, refusant le culte de la personnalité ou du pouvoir
Un réalisme lucide sur les limites humaines et les résistances au changement
Un fort besoin d’harmonie intérieure et systémique
Une résilience tranquille, souvent issue de parcours de transformation personnelle
L’assertivité (capacité à affirmer une position tout en respectant l’autre) était présente dans tous les entretiens, de même que la patience stratégique et le désir de contribution au bien commun.
La plupart des personnes interrogées avaient engagé une démarche personnelle de méditation, de réflexion philosophique ou spirituelle, les aidant à remettre en perspective leur rôle, leur activité, et leur rapport au pouvoir.
Vers un leadership intégratif
Loin de rejeter les dimensions classiques du leadership (vision stratégique, autorité, communication, gestion du stress…), le leader transpersonnel les intègre dans une matrice plus vaste :
Il observe les systèmes dans leur complexité, et non en silos
Il agit en conscience de l’impact systémique de ses décisions
Il reconnaît l’importance des archétypes, du récit, du symbolique
Il sait mobiliser l’intuition comme forme de connaissance
Ce type de leadership rejoint les approches intégratives proposées par Wilber (2000), où l’évolution personnelle est indissociable de la transformation collective.
Une émergence discrète mais réelle
Ce leadership ne s’impose pas, il émerge. Il ne s’affiche pas, il s’incarne. Il se manifeste aujourd’hui dans certains cercles de dirigeants engagés dans la transition écologique, dans les initiatives sociales, dans l’entrepreneuriat éthique ou dans les communautés conscientes.
Il est encore peu théorisé en langue française, mais gagne en légitimité dans les sphères académiques anglo-saxonnes (see Reams, 2010 ; Wilber, 2017 ; Crossan et al., 2012).
Conclusion
Le leader transpersonnel est peut-être l’une des réponses les plus pertinentes aux défis contemporains : il nous invite à réconcilier rigueur et profondeur, action et intériorité, leadership et conscience. Il n’est pas un surhomme spirituel, mais un humain en chemin, qui œuvre avec lucidité et compassion pour un monde plus aligné.
Références académiques
Assagioli, R. (1971). Psychosynthesis: A Manual of Principles and Techniques. Penguin.
Goleman, D. (1995). Emotional Intelligence. Bantam.
Grof, S. (1975). Realms of the Human Unconscious. Viking Press.
Wilber, K. (2000). A Theory of Everything. Shambhala.
Vaughan, F. (2002). What is spiritual intelligence?. Journal of Humanistic Psychology, 42(2), 16–33.
Zohar, D., & Marshall, I. (2000). SQ: Spiritual Intelligence, the Ultimate Intelligence. Bloomsbury.
Wigglesworth, C. (2012). SQ21: The Twenty-One Skills of Spiritual Intelligence. SelectBooks.
Reams, J. (2010). Leading with Spirit: A Transpersonal Perspective on Leadership. Integral Review, 6(2), 5–23.
Crossan, M., Mazutis, D., & Seijts, G. (2012). In Search of Virtue: The Role of Virtues, Values and Character Strengths in Ethical Decision Making. Journal of Business Ethics, 113(4), 567–581.